Illettrisme mobile
Ce présent document est le rapport de mon stage de fin d’étude universitaire en Master 2 Ergonomie, Conseil Psychologique à l’université Paris 8. Ce stage s’inscrivait dans un projet de conception des interfaces et des services adaptés aux populations touchées par illettrisme et analphabétisme en Afrique occidentale. Le propriétaire et le demandeur de ce projet est Orange Labs Produits et Services, Direction Usages et Customer Expérience, Département expérience utilisateurs à Rennes.
La demande du stage consiste à mettre en place une méthode ergonomique afin d’étudier et de comprendre les usages et l’appropriation de téléphone mobile par les personnes en situation illettrisme de l’Afrique occidentale et de contribuer à la conception des interfaces et des services adaptés selon les spécificités identifiées. Etudier l’usage du téléphone à une population va consister à étudier l’action et l’emploi qu’elle fait avec le téléphone mobile. Sur le plan culturel, l’usage va porter aussi sur l’ensemble des pratiques culturelles et traditionnelles de cette population en lien avec le téléphone mobile.
En effet, la population Africaine n’a pas connue les mêmes évolutions dans l’usage de nouvelle technologique particulièrement les téléphones mobiles par rapport aux occidentaux. Les téléphones mobiles arrivent en Afrique de manière explosive. Depuis l’an 2000, le nombre de connexion mobiles en Afrique sub-saharienne a augmenté de 44%, alors que la moyenne, pour la même période est de 34% dans les régions en voie de développement et de seulement 10% dans les régions développées [8]. Pendant les dix dernières années, la société africaine a connu une transformation considérable dans l’utilisation de téléphone mobile. Selon toujours le même rapport, les autorités d’Afrique sub-saharienne ont progressivement libéralisé le secteur des télécommunications et la concurrence, cela a permis d’accentuer l’accessibilité aux services. Ainsi le marché de la téléphonie mobile dans la région Afrique sub-saharienne a enregistré une croissance importante, la plus soutenue au monde. Enfin d’année 2012, l’Association mondiale des opérateurs télécom a déclaré que l’Afrique subsaharienne est devenue depuis 2000, le marché le plus croissant en matière de téléphone mobile soit 40% de croissante chaque année. Au Mali depuis 2002, le deuxième opérateur téléphonique IKATEL-SA devient Orange à la suite d’un appel d’offres international. Aujourd’hui Orange Mali fourni plus de cinq millions de clients, c’est la moitié de la population qui dispose de téléphone mobile. Malgré le taux d’analphabétisme très élevé dans cette zone de l’Afrique occidentale, la population continue à s’approprier des téléphones mobiles. Dans ce contexte, Orange ambitionne de concevoir des services et interfaces de téléphones mobiles adaptés aux spécificités de la population analphabète et illettrée.
Selon Agence Nationale de Lutte Contre L’illettrisme, on parle d’illettrisme pour des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonome dans les situations simples de la vie courante. Selon UNESCO, analphabétisme peut être définir comme le degré zéro de la lecture et l’écriture en langue française: je ne sais pas, je n’ai jamais appris. Ce sont des personnes qui n’ont jamais été scolarisée. L’Afrique de l’Ouest affiche les taux d’analphabétisme les plus élevés au monde selon les organismes éducatifs. Soixante-cinq millions d’adultes ouest-africains soit 40% de la population adulte ne savent ni lire ni écrire selon une nouvelle étude, intitulée « From closed books to open doors –West Africa’s literacy challenge 2009» Selon UNESCO 2009, les taux d’analphabétisme chez les adultes sont les suivants : (Benin 40% ; Faso 26% ; CI 49% ; Mali 23% ; Sénégal 42%).
En effet, la société africaine est fondée sur la tradition orale où la parole est l’élément essentiel de la société. Les connaissances et les savoirs faires ne sont pas écrits, ils sont transmis de bouche à l’oreille afin de les conservés. Ce sont les sages et les griots qui sont les dépositaires de ces connaissances. Selon Amadou Hampâté Ba, Amkoullèl, l’enfant Peulh « en Afrique un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Cette célèbre citation de ce grand ethnologue Malien est un témoignage sur les connaissances et les savoirs faires des africains. Il veut dire que les connaissances sont conservées dans mémoires et dans les esprits chez les vieux sages en Afrique alors qu’en Occident les connaissances se trouvent dans les livres et conservées dans les bibliothèques.
Avant l’arrivée de l’écriture en Afrique, les peuples africains se sont toujours exprimé leurs pensées leurs savoirs faires de façon orale à travers des événements artistiques, des contes, des citations, des chants, des poèmes, de proverbes, des devinettes et de théâtre. C’est la tradition orale, un témoignage qui se transmit de génération en génération par les griots, des sages, des maitres du village. Dans la société africaine, les différentes formes de littérature orale remplissent plusieurs fonctions. Elles sont à la base de distraction, des valeurs éducatives, elles diffusent les rituels et les croyances, encouragement la conformité aux normes culturelles, et apportent un soulagement psychologique dans un cadre institutionnalisé. Par exemple la Charte de « Kouroukan-Fouga » qui est l’ensemble des lois édictées par Soundjata Keita (Roi de Mandé) lors de l’assemblée des peuples. Ces lois sont considérés comme les fondamentaux de la société africaine. Elles sont transmises oralement par différentes langues locales.
Afin de répondre les problématiques posées à la demande du stage à savoir de comprendre l’usage et l’appropriation des téléphones mobiles par la population analphabète et illettrée en Afrique de l’Ouest, nous allons mettre en place une démarche ergonomique basée sur des observations des activités et des entretiens très approfondis de nos participants avec leurs téléphones mobiles.